mercredi 3 mars 2010

Terra Incognita : le lobby européen en Israël, Seth J. Frantzman

"Réalisant qu’elle ne pourrait pas obtenir un changement de son système législatif par des moyens diplomatiques, l'Union européenne s’est résolue à créer localement un lobby pour faire plier Israël, de confortables financements d’ONG à l’appui."

"Shatil, qui prétend aider les Juifs éthiopiens, a demandé 1 million de dollars pour les Bédouins et 1 million de dollars pour "éduquer et sensibiliser les résidents arabes de cinq villes d'Israël dont la population est mixte, arabe et juive". Il n’a rien demandé pour les Éthiopiens."

Source:
Lessakele
Titre original : Terra Incognita: The European lobby in Israel, The Jerusalem Post
Traduction : Danielle Elinor Guez

Depuis la publication de l’ouvrage "Le lobby israélien" de John Mearsheimer et Stephen Walt il y a eu beaucoup de discours sur le "lobby." En Angleterre, la Chaîne 4 qui appartient au courant d’opinion majoritaire et respectable a diffusé toute une émission, Le lobby israélien en Grande Bretagne, où on a prétendu que le "lobby" était "propriétaire" du parti conservateur. Tout au long de ces discussions sur l’existence d’un lobby israélien en Occident, on a totalement passé sous silence le développement d’un lobby, implanté en terre sainte cette fois, le lobby européen en Israël.

Le Parlement européen a adopté en 1994 un texte intitulé l'Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l'homme (EIDHR). Il faisait partie d’une affirmation plus générale des principes de l’Union européenne selon laquelle "la démocratie et les droits de l'homme sont des valeurs universelles qui doivent être vigoureusement soutenues dans le monde entier." L'initiative se proposait de favoriser la démocratisation par la promotion d’élections "libres et loyales" et des " valeurs démocratiques" communes caractérisées par "la responsabilité, la transparence et l'égalité."

En 2007, un changement subtil est intervenu dans la dénomination de l'EIDHR. Le mot "initiative" a été remplacé par "instrument." Ce changement apparemment anodin pouvait être la conclusion d’un débat sémantique entre fonctionnaires européens. C’était en fait l’expression d’une attitude de plus en plus intrusive que l’Union européenne avait décidé d’adopter à l’endroit d’Israël.


L'Union européenne s’était rendu compte au cours de la seconde Intifada que ses avis n’étaient pas suivis. Peut-être a-t-elle été sensible aux déclarations alarmistes d’Israéliens, comme l’ancien rédacteur en chef de Haaertz David Landau qui avait dit en 2007 à la secrétaire d’état américaine Condoleezza Rice que les E-U devaient imposer un règlement avec les Palestiniens quitte à "violer" Israël. Peu importe la cause exacte, l’Union européenne a entrepris en 2002 de financer avec largesse des organisations non gouvernementales en Israël. Elle prétendait que c’était au nom "de la contribution essentielle des ONG à la promotion et à la défense des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'homme et du règne de la loi."

Entre 2002 et 2008, 14 millions de dollars ont été versés au total à différentes ONG israéliennes dans le cadre de l’EIDHR. Mes recherches sur les ONG destinataires de ces financements ont montré que la part du lion avait été attribuée à deux groupes sociaux, les Palestiniens et les Arabes israéliens. 5.5 millions de dollars étaient consacrés spécifiquement à des partisans des Palestiniens comme l'Association pour les droits civiques en Israël et au projet "Construire un meilleur avenir : permettre aux résidents palestiniens de Jérusalem de jouir de leur droit à un urbanisme [sic] et à des habitations en propre" qui a reçu 135.000 dollars. 7 millions de dollars supplémentaires servirent à mettre en œuvre des programmes au seul bénéfice des Arabes israéliens comme le programme du fonds Al-Awna : "Programme cadre pour les villages bédouins non reconnus : garantir les droits de la minorité au logement et aux services sociaux" qui a reçu 263.000 dollars. Quand des programmes financés par l’EIDHR étaient destinés aux femmes, ils étaient réservés uniquement aux femmes arabes israéliennes ou bédouines à l’exception d’une somme de 100.000 dollars attribuée à une organisation appelée Isha le Isha (Femmes pour les femmes) qui contribue à la lutte contre les réseaux de prostitution.

Il n'y avait pas un seul cent affecté spécifiquement à l’une des nombreuses communautés juives d’Israël : les Éthiopiens, les Russes, les Yéménites, les iraniens ou les juifs du Caucase. La seule mention de citoyens juifs comme destinataires potentiels était une contribution au Centre Mossawa, un organisme de soutien aux citoyens arabes en Israël. Il a reçu 402.000 dollars pour un projet visant à "combattre le racisme et à transformer des relations intercommunautaires entre les groupes ciblés composés de la majorité juive, de la minorité arabe et de groupes ethniques dont les Russes, les Éthiopien, et les communautés juives Mizrahi et libérales."

73.000 dollars environ ont été orientés vers d’anciens soldats de l’armée israélienne. Ce n'était pas pour les aider à surmonter leurs traumatismes ou pour les récompenser de leur engagement citoyen. Il s’agissait de les amener à « briser le silence » sur ce qu’ils avaient vu quand ils étaient dans l'armée, à fournir des témoignages qui pourraient permettre éventuellement de traduire devant des tribunaux européens pour crimes de guerre dles soldats et leurs officiers. Ce n'est évidemment pas ce que "Breaking the Silence" explique publiquement, décrivant son projet comme l’organisation de "rencontres personnelles avec d’anciens soldats israéliens".

L'EIDHR utilisé comme "instrument" pour influencer la politique israélienne n’est que la pointe émergée de l'iceberg. Dans son rapport de novembre 2009, "Un cheval de Troie : l'impact du financement public européen des ONG israéliennes", NGO Monitor a montré dans un rapport que certaines ambassades européennes en Israël ainsi que d'autres programmes de l'Union Européenne financent généreusement certaines ONG israéliennes. Ils y consacrent même quelquefois la plus grande partie de leur budget. En fait, selon ce rapport, les ONG locales financées par des capitaux étrangers sont responsables d'une grande partie des plaintes déposées devant la Cour Suprême israélienne.

Réalisant qu’elle ne pourrait pas obtenir un changement de son système législatif par des moyens diplomatiques, l'Union européenne s’est résolue à créer localement un lobby pour faire plier Israël, de confortables financements d’ONG à l’appui.

Les organisations israéliennes des droits de l'homme peuvent répliquer que la provenance du financement n'est pas le plus important du moment que leur cause est juste. Il est vrai que certaines organisations des droits de l'homme en Israël voient tout à travers le prisme du conflit, ce qui signifie qu'elles ne s'impliquent que pour des projets destinés à des Palestiniens ou à des "citoyens palestiniens d'Israël » et qu’elles ne sont pas intéressées par les droits de la population juive du pays.

Shatil, qui prétend aider les Juifs éthiopiens, a demandé 1 million de dollars pour les Bédouins et 1 million de dollars pour "éduquer et sensibiliser les résidents arabes de cinq villes d'Israël dont la population est mixte, arabe et juive". Il n’a rien demandé pour les Éthiopiens.

La question est de savoir si le financement de ces organisations revient à la constitution d'un lobby masqué. L'EIDHR n'engage pas de poursuites directement contre Israël pour défendre la liberté de mouvement des Palestiniens. Elle préfère financer des ONG. locales qui le font à sa place. En outre, l'EIDHR apporte 8,4 millions de dollars pour financer directement des ONG dans les Territoires Palestiniens, en plus de l'argent qu'elle donne aux ONG israéliennes dont les programmes ne bénéficient qu’aux seuls Palestiniens.

Dans tous les autres pays du monde, l'EIDHR oriente ses financements vers des programmes à grande échelle qui soutiennent la "démocratie" et la "société civile". En Égypte elle a donné 10 millions de dollars entre 2003 et 2008, qui n’ont pas servi à financer un seul projet destiné à la minorité chrétienne copte.

Il est temps pour ceux qui parlent d'un lobby juif israélien, en particulier en Europe, de reconnaître que depuis huit ans l'Europe a déployé des efforts concertés pour créer un groupe de pression européen en Israël, qui discrimine sa population juive et porte à bout de bras des ONG extrémistes.

L'auteur est chercheur à l’Université hébraïque de Jérusalem

2 commentaires :

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

. La polémique sur le « lobby pro-israélien »

http://www.laviedesidees.fr/La-polemique-sur-le-lobby-pro.html

. J Street, le lobby de la « majorité silencieuse »

http://www.laviedesidees.fr/J-Street-le-lobby-de-la-majorite.html

. L’ « affaire Kallas » : peut-on réguler les lobbyistes ?

L’idée du commissaire européen Siim Kallas de créer un registre européen des lobbyistes a relancé le débat sur l’exposition des décideurs européens aux efforts d’influence des groupes d’intérêts et ses conséquences sur les choix politiques de l’Union.

http://www.laviedesidees.fr/L-affaire-Kallas-peut-on-reguler.html

. Le Fonds pour le Nouvel Israël (New Israel Fund) et la menace de la gauche sur le système démocratique israélien.

http://www.objectif-info.com/index.php?id=1370

On estime actuellement que 3000 groupes d’intérêts employant jusqu’à 10 000 personnes font du lobbying d’une manière ou d’une autre à Bruxelles. Les fédérations commerciales européennes représenteraient un tiers de ces groupes, les bureaux de consultants un cinquième, les entreprises individuellement, ONG et syndicats (patronaux ou d’employés) chacun environ 10%, les représentations régionales et les organisations internationales 5% chacunes, et enfin les think tank 1% .

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

Le débat actuellement ne se situe pas au niveau de l’existence légitime ou non du lobbying. Le lobbying est un fait, il s’agit à présent de savoir comment il convient d’en réguler ses activités. L’Union Européenne à cet égard se distingue fortement des Etats Unis, par une approche sensiblement moins contraignante et stricte que celle en vigueur outre-Atlantique : les activités de lobbying aux Etats Unis sont encadrées par le « Lobbying Disclosure Act », qui oblige tout lobbyiste à s’enregistrer auprès des autorités compétentes, à communiquer la liste de ses clients, ainsi que les thèmes sur lesquels ils travaille et l’argent qu’ils reçoit pour le travail qu’ils réalise. L’Union européenne n’a pas retenu une approche juridiquement contraignante, loin s’en faut, mais a préféré opter pour l’autorégulation. En effet, l’activité des lobbyistes à Bruxelles n’est encadrée que par un code de conduite volontaire adopté par les associations européennes de praticiens des « Public Affairs » (SEAP, « society of european public affairs professionals », et PAP, « Public affairs practitioners »). Ce code de conduite, qui a été révisé fin 2004, est un ensemble de bonnes pratiques auxquelles les praticiens adhèrent volontairement (il s’agit par exemple de systématiquement se présenter par son nom et la compagnie pour laquelle on travaille lors de communications téléphoniques). Des sanctions, allant de la dénonciation orale à l’exclusion de l’association, sont également prévues pour les professionnels qui ne respecteraient pas ces normes. Le parlement européen quant à lui, a repris bon nombre de ces bonnes pratiques dans un code de conduite des lobbyistes annexé à son règlement intérieur (article 3 annexe 9 du règlement intérieur). Aujourd’hui, tout lobbysite qui se rend régulièrement au parlement européen pour y obtenir des informations se doit de se faire enregistrer et de souscrire à ce code de conduite, en échange de quoi il reçoit un pass spécial portant la mention « public affairs ». Par ailleurs, tout député doit aujourd’hui faire une déclaration précise de l’ensemble de ses activités professionnelles, et doivent refuser tout cadeau ou compensation financière dans l’exercice de ses fonctions. Les assistants doivent également déclarer toute autre activité donnant lieu à rémunération. La question de savoir comment réguler au mieux les activités de lobbying est une question récurrente à Bruxelles : faut-il s’orienter vers un modèle juridiquement contraignant à l’américaine, ou faut-il s’en tenir à l’approche actuelle de l’auto-régulation ? Le système actuel est peut-être finalement tout aussi efficace dans la mesure où les lobbyistes ont besoin de la confiance des institutions et de l’opinion publique, et ont donc tout intérêt à ce que leur activité soit la plus « propre possible » et que la profession conserve une certaine crédibilité, d’autant plus dans un cadre aux dimensions aussi réstreintes que Bruxelles, où le moindre faux pas serait immédiatement divulgué par la presse et le bouche à oreille à l’ensemble des sphères politico-administratives.

Les ONG sont d’ailleurs souvent les meilleurs lobbyistes, c’est à dire ceux qui se font le mieux entendre par rapport au budget dont ils disposent, grâce notamment au soutien des médias et de l’opinion publique. Les manifestations telles celle organisée par WWF devant le conseil pour influencer sa position sur REACH sont des outils efficaces, et dont ne se privent pas les ONG.