lundi 27 septembre 2010

Université Libre de Bruxelles: "Le triste clown et la jeune fille voilée"

"L’attitude trouble des certains des orateurs excita rapidement une certaine fibre chez une partie importante du public. Très vite, les interventions de ce public passèrent de l’antisionisme à l’antisémitisme sans que le vice-recteur ne prenne de mesure. On entendit dire sans sourciller que si la Shoah avait pris un caractère «sacré» dans nos pays alors que les autres génocides n’avaient pas ce caractère, cela était dû au pouvoir que les Juifs ont sur la société grâce à l’argent. Le fait que d’autres génocides aient acquis ce même caractère comme le génocide des Tutsis ou celui des Arméniens était volontairement ignoré."

Contexte: Dérive incontrôlée à l’ULB, Communiqué conjoint de l’Union des Etudiants Juifs de Belgique et de l’European Union of Jewish Students
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Texte de Léon Brenig, Professeur au département de physique de l'ULB

J’étais assis hier soir [20/09] dans l’auditoire Janson de l’Université Libre de Bruxelles pour assister à une conférence sur la liberté d’expression. La conférence était précédée d’un film intitulé «Est-il permis de débattre avec Dieudonné». Un débat intéressant en perspective.

Il se fait que j’enseigne dans cette université. Certes, j’y enseigne une discipline, la physique, qui paraît éloignée d’un tel débat. Cette distance n’est cependant qu’apparente, car au nom de la liberté d’expression s’insinue de manière croissante des discours créationnistes qui déforment les acquis de la science concernant les origines de l’univers et de la vie. Je suis donc sensible à toutes les dérives que la liberté d’expression permet. Cela dit, même si de telles dérives existent, je pense que cette liberté reste la meilleure garante de la démocratie.

Le film sur Dieudonné s’est avéré d’un niveau confondant. Il présentait un panel de sept orateurs incluant Dieudonné lui-même ainsi que le modérateur et auteur du film, le journaliste Olivier Mukuna. Très vite il apparut que quatre des orateurs étaient acquis à Dieudonné sous une forme ou une autre et que seuls deux autres orateurs dont l’un, mollement, osaient critiquer ses propos délibérément racistes à propos des Juifs. Le panel s’avérait donc totalement déséquilibré, cinq contre deux.


Les interventions des partisans de Dieudonné évitaient soigneusement de décrire le contenu raciste des sketchs et interviews de l’«humoriste» pour se centrer sur le droit à la liberté de parole. Le film donnait fréquemment la parole à Dieudonné qui, lui-même, évitait de parler du contenu raciste de ses spectacles et prétendait ajouter une dimension «artistique» à son propos. Il développa en effet une théorie de l’attentat humoristique comme nouvelle expression de l’art contemporain !

Selon lui, l’affirmation provocante que les Juifs auraient joué un rôle majeur dans la déportation massive des Noirs d’Afrique comme esclaves aux Amériques ou que les mêmes Juifs dominent le monde par l’argent, n’est pas une contre-vérité historique et constitue une salutaire stimulus à la réflexion. De telles contre-vérités historiques constituent ce que Dieudonné appelle des attentats humoristiques. Rappelons à ce propos qu’en 2006 le jeune Ilan Halimi a été enlevé, torturé puis sauvagement assassiné par le gang des barbares sous le prétexte que les Juifs sont immensément riches et peuvent donc payer de plantureuses rançons. Il se fait qu’Ilan Halimi qui vivait dans une cité HLM de Bagneux était juif et pauvre. Le verdict du procès a retenu l’antisémitisme comme circonstance aggravante du crime. Il est difficile de croire que le discours distillé par Dieudonné sur la richesse des Juifs et sur leur rôle supposé dans la traite des Noirs n’a pas eu d’influence sur les jeunes d’origine africaine de ce gang. L’attentat humoristique devient dans ce cas une incitation au meurtre….

Le débat qui suivit le film dans l’auditoire Janson fut encore plus lamentable. Certains des orateurs et membres du public émirent des propos antisémites sans que le modérateur, le Vice-Recteur Marc Van Damme, n’en tance les auteurs. Le débat qui devait porter sur la liberté d’expression tourna vite à la condamnation du sionisme, à la délégitimation de l’état d’Israel et au dénigrement d’une organisation juive, le CCLJ, défendant le droit à l’existence de deux états, Israël et la Palestine. Plus grave encore, les propos de certains des orateurs et de membres du public manifestaient ouvertement une haine antisémite qui dépassait le cadre politique du conflit israélo-arabe pour s’attaquer aux Juifs en général. Un des orateurs, Joël Kotek, professeur à l’ULB, le seul à oser qualifier Dieudonné de raciste, voulu répondre à un autre orateur, Souhail Chichah membre lui aussi de l’ULB, dont les propos habiles cachaient cependant mal la haine contre Israël et les Juifs. Le vice-Recteur Van Damme l’interrompit en disant qu’il s’écartait du thème du débat. Il avait pourtant laissé s’exprimer Souhail Chichah qui avait lui-même initié cet écart.

L’attitude trouble des certains des orateurs excita rapidement une certaine fibre chez une partie importante du public. Très vite, les interventions de ce public passèrent de l’antisionisme à l’antisémitisme sans que le vice-recteur ne prenne de mesure. On entendit dire sans sourciller que si la Shoah avait pris un caractère «sacré» dans nos pays alors que les autres génocides n’avaient pas ce caractère, cela était dû au pouvoir que les Juifs ont sur la société grâce à l’argent. Le fait que d’autres génocides aient acquis ce même caractère comme le génocide des Tutsis ou celui des Arméniens était volontairement ignoré. A l’évidence, ces génocides surtout le dernier ne les intéressaient pas. De même, le génocide du Darfour au Soudan ou celui du Biafra quelques décades plus tôt commis par des milices musulmanes au Nigéria qui ont fait des millions de morts, de femmes violées et de blessés n’ont pas été mentionnés. Il fallait se concentrer sur le statut «enviable» et «privilégiée» du génocide des Juifs comparé à celui du soit-disant génocide des Palestiniens. Je rappelle à ce propos que la grande majorité des analystes géopolitiques considèrent que le conflit israélo-palestinien est un conflit de basse intensité ce qui signifie que le nombre de victimes de part et d’autre est très limité.

Dans la cohue, ceux, orateurs ou membres du public, qui voulurent répondre à ces propos très nettement antisémites ne le purent…..et ces propos continuerons à hanter la mémoire de nombreux participants à cet événement.

Une dernière image qui résume l’atmosphère de cette lamentable conférence. Une jeune fille voilée prit la parole dans le public vers la fin de la soirée. A côté de choses pourtant sensées, elle s’étonna de ce que les Juifs en Belgique aient tellement de succès dans leur lutte contre les injustices qui les touchent alors que les descendants d’immigrés musulmans n’en auraient aucun. Elle supposait que c’était la richesse des Juifs qui leur donnait ce pouvoir. Malheureusement, cette pauvre jeune fille se trompait de combat. Elle aurait dû savoir que les Juifs sont arrivés en Belgique démunis de tout, pour échapper à l’antisémitisme et à la misère. Ils étaient pauvres et immigrés de toujours. Leur seule richesse était leur travail acharné et leur amour des études. Ce sont ces deux qualités qui leur ont permis de maîtriser la langue et la culture de leur pays d’accueil au point d’être capables de se défendre efficacement de leurs ennemis. Et ils ne sont pas les seuls, d’autres immigrés, chinois, vietnamiens, asiatiques en général, relèvent aussi bien le défi de l’intégration. Ce n’est donc pas réservé aux seuls Juifs ! Cette jeune fille devrait comprendre qu’elle doit combattre les tendances obscurantistes qui poussent de nombreux jeunes de sa communauté à négliger leurs études plutôt que de reprendre des slogans diffusés par ceux qui désirent maintenir ces jeunes dans l’ignorance pour mieux les manipuler.

Ainsi nous avons assisté à un déferlement de propos antisémites prononcés impunément dans un auditoire prestigieux de l’Université du Libre-Examen. Jusqu’où ira la banalisation de l’antisémitisme dans notre pays?

2 commentaires :

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

Loin des mythologies, la misère est souvent le lot commun du monde juif à travers l'histoire. Exclus de nombreuses professions, mais aussi des lycées et universités, marginalisés, les Juifs d'Europe de l'Est comme d'Afrique du Nord, de Géorgie ou encore du Lower East Side de New York ont longtemps connus des situations de pauvreté extrême. Certes, des philanthropes sont fréquemment venus à leur aide. Ils n'en ont pas moins été amenés à lutter par eux-mêmes, dans la Pologne ou dans la France d'autrefois comme aux Etats-Unis ou dans l'Israël contemporain, en s'engageant dans les luttes sociales à travers l'action syndicale et le recours aux grèves.

Les Cahiers Du Judaisme - N° 29

Mendo a dit…

"Il est difficile de croire que le discours distillé par Dieudonné sur la richesse des Juifs et sur leur rôle supposé dans la traite des Noirs n’a pas eu d’influence sur les jeunes d’origine africaine de ce gang. L’attentat humoristique devient dans ce cas une incitation au meurtre…."

Il y avait longtemps que je n'avais plus lu une connerie pareille...