dimanche 15 décembre 2013

Arte: «Six amis en quête de liberté. Destins croisés de Budapest à Manhattan» par Thomas Ammann

John von Neumann
"In the early 20th century a very important chapter of the history of science began in Central Europe. Liberating themselves from the Habsburg rule, suddenly a very important generation of scientists grew up, e.g. George de Hevesy, Theodore von Kármán, John von Neumann, and Eugene P. Wigner in Hungary, Sigmund Freud in Austria, Banach in Poland, Feller in Yugoslavia. In this intellectual Renaissance, most probably John von Neuman was the greatest among the giants of this epoch. The comparison is certainly not easy, because these men were exceptional at any standard. It is hard to evaluate the luck of the United States that many of the bests looked for asylum here, escaping the ideological, racial and religious persecution."[1]

@ Véronique Chemla «Six amis en quête de liberté. Destins croisés de Budapest à Manhattan» par Thomas Ammann

Arte diffusera le 18 décembre 2013 « Six amis en quête de liberté. Destins croisés de Budapest à Manhattan » (Die Mission der Genies, Der Kampf um die Freiheit - 6 Freunde und ihre Mission, Sechs Freunde und ihre Mission, Six Geniuses from Budapest), documentaire de Thomas Ammann. L’itinéraire de six Hongrois Juifs exilés, brillant dans les sciences, la politique et l'art : Robert Capa, Michael Curtiz, John von Neumann, Leo Szilard, Edward Teller et Eugene Wigner.  Le point commun entre Robert Capa, Michael Curtiz, John von Neumann, Leo Szilard, Edward Teller et Eugene Wigner? Ils ont « grandi dans le même quartier de Budapest, puis fait des études à Berlin ou à Vienne. Ils ont voulu lutter contre le totalitarisme d’Horthy et celui d’Hitler, avant d’émigrer aux États-Unis via Paris ou Londres».

Ce documentaire  revient sur le parcours de ces six amis qui, de par leur engagement, ont connu un destin hors du commun, ont dû fuir leur pays natal avant de marquer l’histoire du XXe siècle». Amis? peut-être pas. Mais tous ont excellé dans leurs domaines, et représentent ces Juifs cultivés, souvent germanophones, issus d’une Mitteleuropa disparue. [...]

János Neumann Margittai (1903-1957), ou John von Neumann, est né à Budapest. Cet ancien enfant prodige est major de promotion de l’université de Budapest dont il est docteur en mathématiques, et de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich dont il est diplômé en génie chimique. A Göttingen, il collabore avec Robert Oppenheimer sous la direction de David Hilbert. Dès 1930, il enseigne à Princeton, puis les mathématiques dès 1933 à la faculté de l'Institute for Advanced Study. Il devient un génial mathématicien - il invente les principes de base de l’ordinateur – et physicien et a contribué à la mécanique quantique, l’analyse fonctionnelle, la théorie des ensembles, l’informatique – architecture de l’ordinateur -, les sciences économiques, etc. Il participe aussi aux programmes militaires américains. Il travaille sur le projet Manhattan – il assiste à des essais sur la bombe A dans l’océan Pacifique -, et au développement de la bombe H. Anticommuniste, il est consultant pour la CIA et la Rand Corporation, et contribue à élaborer la guerre froide et la destruction mutuelle assurée (Mutually Assured Destruction, MAD).


Leó Szilárd (1898-1964) est un physicien nucléaire né à Budapest. Distingué en 1916 par le Eötvös Prize, prix de mathématiques, il sert dans l’armée austro-hongroise lors de la Première Guerre mondiale, mais, atteint de la grippe espagnole, il doit être hospitalisé. Il poursuit ses études d’ingénieur en Hongrie, puis à l’Institut de technologique de Berlin-Charlottenburg où il suit des cours de physiques d’Einstein et Planck. Docteur en physique de l’université Humboldt de Berlin, il enseigne, travaille sur des inventions techniques et dépose un brevet pour un cyclotron. Il se rend à Londres en 1933 et conçoit l’idée de la réaction nucléaire en chaine sur laquelle il dépose un brevet. En 1938, il poursuit ses recherches à l’univertisté Columbia à New York. Il écrit un projet de lettre au président Franklin Roosevelt pour alerter sur les recherches menées par l’Allemagne nazie sur les armes nucléaires et inciter les Etats-Unis à développer un programme visant à leur production. En août 1939, il demande à son ami Albert Einstein de signer cette lettre qui aboutit à la création du Projet Manhattan. Szilárd continue à travailler sur ce projet à l’université de Chicago où, avec Fermi, il participe à la construction du premier “réacteur neutronique”, une “pile atomique” à l’uranium et au graphite. Naturalisé américain en 1943, il est convaincu que la seule menace de l’arme nucléaire contraindrait le IIIe Reich et le Japon impérial à se rendre, et est écarté du projet Manhattan par son supérieur, le général Leslie Groves. Après les bombardements atomiques à Hiroshima et Nagazaki, il fonde en 1946 avec Einstein le Comité d’urgence des scientifiques atomistes. En 1947, Szilárd s’intéresse à la biologie moléculaire, travaille avec Aaron Novick. En 1962, il cofonde le Council for a Livable World qui prône le désarmement nucléaire.

Edward Teller (1908-2003), en hongrois Ede Teller. Marqué par l’effervescence politique en Hongrie après le premier conflit mondial, et afin d’éviter le numerus clausus antisémite à l’Université, il étudie la physique à l’université de Karlsruhe et Leipzig. Grâce à l’International Rescue Committee, ce diplomé en ingénierie chimique se réfugie en Angleterre, puis au Danemark, puis il émigre aux Etats-Unis en 1935 où il est professeur de physique à l’université George Washington. Citoyen américain en 1941, il participe au sein du Laboratoire national à Los Alamos à la construction de la bombe A, puis de la bombe H (à hydrogène). Il a témoigné contre Julius Robert Oppenheimer (1904-1967), ancien directeur scientifique du Projet Manhattan à Los Alamos. Ce qui conduit à son ostracisation par une grande partie des scientifiques. Teller a conseillé l’Etat d’Israël sur les questions nucléaires pendant plusieurs décennies et a enseigné à l’université de Tel-Aviv. Partisan de l'arme nucléaire et anticommuniste, il soutient dans les années 1980 le projet du président Ronald Reagan, l’Initiative de défense stratégique (IDS).

Eugene Wigner (1902-1995), alias Jenö Pal Wigner, étudie à l’université technique de Berlin, et enseigne à Princeton en 1930. Naturalisé américain en 1937, il est l’un des cinq scientifiques à informer en 1939 le président Rooservel sur l’usage militaire possible de l’énergie atomique. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il participe à la conception des réacteurs au plutonium. Il reçoit en 1963 le Prix Nobel de physique pour ses travaux sur la théorie de la mécanique quantique. Avec Maria Goeppert-Mayer et Hans Daniel Jensen, il est distingué par le Prix Noble de physique en 1963 pour leurs travaux sur « la théorie du noyau atomique et des particules élémentaires, particulièrement grâce à la découverte et à l'application de principes fondamentaux de symétrie ».

«Six amis en quête de liberté. Destins croisés de Budapest à Manhattan» par Thomas Ammann
Allemagne, 2013, 1 h 30 mn
Sur Arte le 18 décembre 2013 à 0 h 25

Visuels : © MDR/Prounen Film
[1] The History of the Computer from Pascal to Neumann, Herman H. Goldstine, cité par George Marx, The Voice of the Martians, Hungarian Scietists who Shaped the 20th Century in the West, p.p. 267-268.

2 commentaires :

Gilles-Michel De Hann a dit…

Pour l'histoire culturelle, la notion de Mitteleuropa ne correspond pas à une réalité géographique mais à une représentation du rôle de la langue et des créations littéraires et intellectuelles allemandes en Europe centrale. La carte mentale de la Mitteleuropa a des frontières variables, à l'ouest et à l'est, suivant les époques. Si l'on remonte aux premiers peuplements allemands à l'est de la frontière du Saint Empire romain germanique, la Mitteleuropa s'étend jusqu'aux franges occidentales de la Russie et des pays Baltes. En Mitteleuropa, modernité rime avec pluralité des langues et des cultures, pour le meilleur, quand on entend par là une interculturalité productive, et pour le pire, lorsque les identités s'affirment les unes contre les autres.

* Lire :

http://www.cairn.info/magazine-le-magazine-litteraire-2008-4-p-74.htm

Toujours est-il que l'idée acquit une certaine faveur à la veille de la Première Guerre mondiale. Mais il faudra le conflit armé pour qu'elle acquière des chances réelles de réalisation: très tôt, la perte des colonies montra aux responsables politiques allemands que l'Allemagne devait rechercher ailleurs l'assise d'une grande puissance. Après les premières victoires des Empires centraux, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la Bulgarie signèrent le 6 septembre 1915 une convention militaire à laquelle l'Empire Ottoman adhéra peu après. Sur la base de cette alliance, Falkenhayn, chef d'Etat-Major allemand, adresse au chancelier Bethmann-Hollweg (peu avant la parution de l'ouvrage de Naumann) un mémoire sur la "fondation d'une confédératon d'Etats du centre de l'Europe", un Mitteleuropäischer Staatenbund. Ce projet, comme tant d'autres, échoua devant la résistance de l'Autriche-Hongrie. Si la notion de "Mitteleuropa" est restée, dans les esprits, synonyme d'"agressions" et de "conquêtes territoriales" par l'Allemagne, cela tient à ce que les thèses bellicistes de l'extrême-droite allemande ont été débattues sous ce nom-là et que cette extrême-droite, surtout après la paix de Brest-Litovsk, envisageait d'étendre démesurément la sphère d'influence allemande en Europe centrale et orientale.

Le débat sur la "Mitteleuropa" a bien eu lieu sous les nationaux-socialistes. Il semble même, au cours des années 30, que ce débat épousait les contours de la stratégie hitlérienne en politique extérieure. Jusqu'à la conclusion de l'accord commercial germano-roumain, en effet, on pouvait encore affirmer que le Troisième Reich reprenait à son compte l'héritage de la monarchie habsbourgeoise dans l'espace mitteleuropäisch. Parmi ceux qui eurent tendance à confondre les intentions du régime national-socialiste avec leurs convictions personnelles, il faut citer l'interprétation de l'idéologie nazie par Heinrich von Srbik.

Celui-ci persistait à croire que l'enjeu de la guerre mondiale était "un nouvel ordre plus viable en Europe centrale et sur notre continent". Or, les nationaux-socialistes ont toujours perçu l'idée de "Mitteleuropa" comme étrangère à leur mentalité, ne fut-ce qu'en raison de l'autonomie relative que cette idée accordait aux "petits peuples". Dans leur logique à eux, l'idée de "grand espace" était dictée par des impératifs tout à fait différents.

Gilles-Michel De Hann a dit…

On voit apparaître, dans la culture juive de la Mitteleuropa à partir de la fin du XIXe siècle, un courant romantique, qui se méfie du rationalisme bourgeois, du progrès industriel et de la civilisation capitaliste, et qui sera attiré par l’utopie libertaire plutôt que par la social-démocratie. Dans le contexte particulier du judaïsme de l’Europe centrale, un réseau complexe de liens – des affinités électives, pour reprendre un concept utilisé dans la sociologie des religions de Max Weber – va se tisser entre romantisme, renaissance religieuse juive, messianisme, révolte culturelle « antibourgeoise » et anti-étatiste, utopie révolutionnaire, socialisme, anarchisme.

On peut distinguer deux pôles dans cette mouvance, cette nébuleuse messianique / romantique / libertaire du judaïsme de la Mitteleuropa. Le premier, constitué par des Juifs religieux à sensibilité utopique : Franz Rosenzweig, Rudolf Kayser, Martin Buber, Gershom Scholem, Hans Kohn, le jeune Léo Löwenthal. Leur aspiration à un renouveau national et religieux juif ne les conduit pas au nationalisme politique et leur conception du judaïsme reste marquée par la culture allemande. Tous manifestent – à des degrés divers – une visée utopique universelle de type socialiste libertaire, qu’ils articulent — de façon explicite ou implicite – avec leur foi religieuse messianique.

L’autre pôle est celui des Juifs assimilés, athées religieux, libertaires : Gustav Landauer, Ernst Bloch, Erich Fromm, le jeune György Lukacs, Manès Sperber, Walter Benjamin. Contrairement aux précédents, ils s’éloignent – à des degrés divers – du judaïsme, sans pour autant rompre tous les liens.

* Lire : Visions hongroises de la « Mitteleuropa »

http://rgi.revues.org/535